"C'est un constat, la psychanalyse guérit" J.D Nasio

pauline-gaudin Par Le 10/10/2017

Fort de ses cinquante et une années de pratique du divan, le docteur Juan-David Nasio, psychiatre de formation, s’insurge contre une vision aujourd’hui fréquente de la psychanalyse, considérée comme une simple méthode de connaissance de soi incapable de mener à la guérison. Dans son dernier essai Oui, la psychanalyse guérit (Payot), il explique les ressorts du travail thérapeutique et le vécu de l’analyste. Passionnant.

Psychologies : Le titre de votre livre résonne comme un cri du cœur. Pourquoi insister autant sur les pouvoirs curatifs de la psychanalyse ?

Juan-David Nasio : Aujourd’hui la psychanalyse est malmenée, critiquée de toutes parts. Or je ne cesse de recevoir des lettres d’anciens patients autrefois très mal en point, qui me disent qu’ils vont mieux, qu’ils ont réussi à se marier, à avoir des enfants, à faire carrière. Par conséquent, c’est un constat issu de décennies de pratique : la psychanalyse guérit. Elle n’est pas un exercice intellectuel, comme on le pense trop souvent, ni un simple réconfort. Elle supprime les symptômes handicapants, elle produit un changement profond de la personnalité, une transformation du regard que le patient porte sur sa souffrance, sur lui-même. A la fin d’une analyse, il s’aime différemment et se sent suffisamment sûr de lui pour ne plus avoir peur de l’autre. Longtemps, c’est vrai, les psychanalystes ont répugné à parler de « guérison », afin de se démarquer du modèle médical classique et souligner que la psychanalyse était à part. Or la psychanalyse est un traitement administré jusqu’à ce que la personne aille mieux, on parle de « cure analytique ». Freud a toujours employé le terme de guérison. D’ailleurs pourquoi entreprendre une analyse, si ce n’est pour guérir - pour aller mieux, se transformer - devenir capable d’aimer et de travailler ?

 

Psychologies : Certains estiment que c’est d’abord la relation qui se noue entre le patient et le psychanalyste qui lui permet de guérir. Etes vous d’accord ?

Juan-David Nasio : C’est un peu court comme explication. Je dirais plutôt que ce sont les émotions intenses qu’elle produit - amour, haine, frustration -, qui ont un effet thérapeutique. Et surtout, la fusion d’inconscient à inconscient qu’elle induit. Dans mon livre, je me suis efforcé d’expliquer comment je travaille, avec ma tête, et avec mes émotions. Il s’agit d’entrer dans le monde intérieur du patient. Et il convient pour cela d’être curieux, mû par la soif d’apprendre. Impossible d’être thérapeute si l’on ne s’intéresse pas aux autres, à leur intériorité psychique. Et c’est vrai pour toutes les formes de psychothérapies. Peu importe la technique, l’école à laquelle vous appartenez : il faut s’engager émotionnellement, être totalement disponible à la relation. Ressentir en soi-même les souffrances infantiles du patient, les douleurs qu’il a lui-même oubliées, et les lui restituer (« Voilà ce que vous avez probablement ressenti quand vous étiez petit »). Quand il parle, se dessine dans mon esprit une idée des traumatismes qu’il a vécu, des carences dont il a souffert.

 

Psychologies : Mais comment savez vous que vous n’êtes pas en train de projeter sur lui vos propres fantasmes ?

Juan-David Nasio : C’est un vrai problème. Je pense pouvoir m’appuyer sur trois critères. D’abord, face à l’émergence de fantasmes fondamentaux du patient, je suis surpris, c’est de l’ordre de l’inattendu. Ensuite, je ressens une légère dépersonnalisation. Enfin, quand je fais part au patient des éléments que j’ai captés, il acquiesce immédiatement, sans réserve. 

 

Psychologies : Comment orientez-vous le patient dans la bonne direction, pour lui permettre de changer ?

Juan-David Nasio : Il y a plusieurs façons d’intervenir que j’expose dans ce livre. Déjà, lors du premier entretien, je propose au patient une nouvelle manière d’interpréter ses troubles - ce que j’appelle une « rectification subjective ». Au fur et à mesure qu’il s’exprime lors de cet entretien inaugural, je perçois plus ou moins clairement ce qui lui pose problème. Je lui en fais part : c’est une façon de traduire en mots ce qu’il vit, ce qu’il ressent confusément sans pouvoir le verbaliser. Et il se produit aussitôt un effet d’allègement : « Enfin, quelqu’un en ce monde, est en mesure de me comprendre », pense-t-il. Ensuite, il existe un procédé, la « prosopopée », qui permet de donner la parole aux personnes qui ont déterminé le destin du patient et qui peuplent ses fantasmes inconscients. Je deviens, par exemple, la mère, à l’origine du tempérament inquiet de son fils, et qui le déplore - « Plus mon fils se blottissait contre moi, plus je lui transmettais mon anxiété ». C’est une phrase qui s’est imposée à moi, face à un patient si mal qu’il ne pouvait quitter sa chambre. Au lieu d’expliquer platement – « vous êtes angoissé à cause de votre mère anxieuse », j’ai produit une fiction, un dialogue qui l’a touché.

 

Psychologies : Le corps ne joue-t-il aucun rôle ?

Juan-David Nasio : Si bien sûr. L’analyste travaille aussi avec son corps. C’est ce que je nomme « l’interprétation gestuelle ». Un exemple, pour faire émerger le fantasme inconscient d’un patient qui ne sort pas de sa chambre et se calfeutre chez lui, je me lève, j’ouvre et je ferme une fenêtre. Il m’explique alors que lui, s’y prend autrement. Et il me le montre. Ces gestes permettront de mettre à jour un fantasme d’assassinat. Les interprétations qui produisent un effet sont celles qui, émotionnellement chargées, parlent directement à l’inconscient.

 

Psychologies : C’est donc l’émotion qui guérit ?

Juan-David Nasio : Disons qu’il faut de l’émotion et de la compréhension émue. Mais, il faut bien l’avouer, la guérison reste une énigme, un peu comme l’amour. « Que s’est-il passé, qu’ai-je fait, quel est le ressort ultime de la guérison de cette personne ? » Chaque psychanalyste se pose cette question après la dernière poignée de main au patient guéri, qui ne reviendra plus. « Je le pansai, Dieu le guérit » : telle était la philosophie de vie du célèbre chirurgien Ambroise Paré. Je dirais : « J’écoute mon patient avec toute la force de mon inconscient, et c’est l’inconnu qui le guérit ».

 

Interview réalisée par le magazine PSYCHOLOGIES.